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Les Berbères existent-ils ?
D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Autant de questions qui n'ont cessé de se poser aux historiens depuis l'Antiquité. Le réveil de la berbérité, auquel on assiste depuis quelques après années, a rendu ce problème tout autant culturel que politique. Mais il n'est pas vécu avec la même acuité dans tout le Maghreb : en Libye, en Tunisie et en Mauritanie, il ne reste que des îlots berbérophones, et les Touaregs, dont l'aire de mouvance couvre le sud de l'Algérie et de la Libye et le nord du Niger et du Mali, ne sont environ qu'un million. En revanche , au Maroc, les berbérophones représentent 60 % de la population et, en Algérie, ils constituent des groupes importants, notamment en' Kabylie, au Mzab et dans les Aurès.
Les Berbères revendiquent une présence au Maghreb vieille de plus de cinq mille ans. Leur communauté s’étend sur près de cinq millions de kilomètres carrés, de la frontière égypto-libyenne à l’Atlantique et des côtes méditerranéennes au Niger, au Mali et au Burkina. Leur culture, leur identité et leurs droits ont longtemps été méprisés, leurs revendications étant assimilées d’abord au « parti colonial », puis plus tard interprétées comme sécessionnistes. Mais l’on assiste à une renaissance du mouvement berbère, notamment au Maroc, où un tiers de la population parle le Tamazight, langue berbère. A Alger comme à Rabat, le pouvoir central se méfie de ce réveil, craignant qu'il ne mette en cause l'unité nationale et l'appartenance du Maghreb à la civilisation arabo-musulmane. Quelques ouvrages récemment publiés, ou fort judicieusement réédités après avoir été longtemps introuvables, contribuent à éclairer aussi bien cet arrière-plan culturel que les problèmes du Maghreb.( Paul Balta)
D'éternels rebelles
Quelle ressemblance existet-il aujourd'hui entre un cultivateur kabyle à la peau blanche et aux cheveux roux ou bruns, un commerçant ou un industriel mozabite portant sa calotte blanche, un chamelier touareg au visage noir caché par ses voiles bleus, un montagnard chleuh de l'Anti-Atlas qui a conservé l'art de construire des terrasses sur les versants escarpés ?
A la différence des types humains et des modes de vie s'ajoutent les différences de dialectes. Un auteur marocain le souligne (1) pour affirmer que les Achlaïn (habitants du Haut-Atlas), les Zayaïn ou Amazighin (Moyen-Atlas), les Achrifin (Rif), les Akbaïlin (Kabyles du Djurdjura), les Amachkin (Sahara central) et les Achaouyin (Aurès) ne se reconnaissent pas dans le vocable commun de ” berbères ” utilisé par Abderrahman
Maroc, le village de Ait Barka aux maisons de terre dans
le Haut Atlas marocain est peuplé essentiellement par les Berbères
Ibn Khaldoun, né en 1332 à Tunis et mort en 1406 au Caire, dans ce monument qu'est l'Histoire des Berbères (2). Et pourtant…
Dans cet ouvrage fourmillant de détails, Ibn Khaldoun ne fait pas un récit chronologique des événements de la région mais une histoire généalogique. Il commence par discuter des différentes hypothèses sur l'origine et la filiation de toutes les tribus berbères, en soulignant la diversité des populations et des influences subies. Ainsi parle-t-il de la Kahena, reine des Aurès, dont les sujets ” professaient le judaïsme, religion qu'ils avaient reçue de (…)Syrie ” et des différents conquérants grecs, romains, latins, arabes…
” Les enfants de Canaan “
Il conclut d'ailleurs que les Berbères n'ont ” aucune origine arabe ” mais qu'ils sont ” les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé ” et précise que ” leur aïeul se nommait Mazigh “, nom qu'ils se donnent encore aujourd'hui et qui signifie ” homme libre “. Aussi peut-on s'étonner que des historiens de l'époque coloniale aient abusivement sollicité Ibn Khaldoun pour opposer les Berbères, d'après eux indo-européens, aux Arabes sémites..
Plusieurs dynasties berbères ayant été contemporaines, il examine chacune séparément pour suivre son histoire dans sa continuité. Et, tout en décrivant la diversité des tribus, il dégage leurs traits communs. ” Nous croyons, dit-il, avoir cité une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux, un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde, tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains. “
Ailleurs, il énumère longuement leurs vertus et note que ce sont d'éternels rebelles. Il définit aussi leurs coutumes, et précise par la même occasion leur aire territoriale, qui s'étend de l'Atlantique à l'Egypte et de la Méditerranée au Sahara : ” Ils mangent le couscous, portent le burnous et se rasent les rouous ” (crânes). Mais, pressentant sans doute de futures querelles et soulignant la complexité des imbrications, il note, cette fois dans le Discours sur l'histoire universelle (3) : ” Arabes et Berbères ont vécu depuis si longtemps au Maghreb qu'on a peine à imaginer qu'ils aient vécu ailleurs. “
Au-delà d'apparentes contradictions, l'archéologue contemporain confirme les intuitions et les renseignements de l'historien-sociologue du quatorzième siècle. ” En fait, écrit Gabriel Camps (4), il n'y a aujourd'hui ni une langue berbère, dans le sens où celle-ci serait le reflet d'une communauté ayant conscience de son unité, ni un peuple berbère, et encore moins une race berbère. Sur ces aspects négatifs, tous les spécialistes sont d'accord… et cependant les Berbères existent. “
Une sorte d'enquête policière
Spécialiste de la protohistoire de l'Afrique du Nord et du Sahara, ce chercheur, qui prépare une Encyclopédie berbère à laquelle collaborent une centaine de spécialistes internationaux, se livre dans son ouvrage à une sorte d'enquête policière pour traquer le ” mystère ” des Berbères.
Ainsi suivons-nous les Garamantes qui introduisirent le char et le cheval, les Gétules nomades par opposition au Libyens sédentaires, les Numides et les Maures, dont on ne sait si leur nom vient du grec mavros (sombre) ou du sémitique mahaurim (occidentaux) ; nous découvroins que Goliath (djoulouta ou djallout, qui veut dire ” roi “, comme aguellid, en berbère) avait un fils Ifricos, qui donna son nom à l'Afrique après y avoir conduit ces Berbères, dont le nom, repris par les Arabes viendrait de barbarus (étranger à la culture grecque et latine) mais pourrait avoir aussi été tiré du nom d'une tribu maure, les Bavares, particulièrement remuante.
Le dernier chapitre, “Permanence berbère”, n'est pas le moins passionnant, parce qu'il fait le lien entre le passé et le présent en étudiant les constantes de cette civilisation à travers les coutumes familiales et sociales, la langue et l'art avec ses motifs géométriques qu'on retrouve aussi bien sur les bijoux, les poteries, les tapis, les coffres, etc. Dans un registre totalement différent mais tout aussi éclairant, citons l'étude d'Yves Lacoste (5), qui explique, à partir de l'oeuvre d'Ibn Khaldoun, les causes du sousdéveloppement du Maghreb.
Paul Balta ; Le Monde des livres - 18 février 1983. p 18
(1) “Berbères et berbérisme”, de Farid Naimy, in Al Asas, Rabat, juillet 1982.
(2) Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, traduite par le baron de Slane, éditions Geuthner, 4 volumes.
(3) Ibn Khaldoun, Discours sur l'histoire universelle, traduction de Vincent Monteil, éditions Sindbad, 1978, 3 volumes.
(4) Gabriel Camps, Berbères, aux marges de l'histoire, 352 pages, éditions Hespérides, Toulouse-Cedex, B.P. 490-31010.
(5) Yves Lacoste, Ibn Khaldoun, naissance de l'histoire, passé du tiersmonde. monde. 278 pages, Maspero.
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Les Berbères revendiquent une présence au Maghreb vieille de plus de cinq mille ans. Leur communauté s’étend sur près de cinq millions de kilomètres carrés, de la frontière égypto-libyenne à l’Atlantique et des côtes méditerranéennes au Niger, au Mali et au Burkina. Leur culture, leur identité et leurs droits ont longtemps été méprisés, leurs revendications étant assimilées d’abord au « parti colonial », puis plus tard interprétées comme sécessionnistes. Mais l’on assiste à une renaissance du mouvement berbère, notamment au Maroc, où un tiers de la population parle le Tamazight, langue berbère.
Sources : L’Etat du Maghreb, La Découverte, Paris, 1991 ; Abdallah Laraoui, L’Histoire du Maghreb, Ed. François Maspéro, Paris, 1970 ; Encyclopédie berbère, Edisud, Aix-en-Provence, 1992 ; Géographie du Maroc, Hatier, Paris, 1967 ; Les Kabyles : éléments pour la compréhension de l’identité berbère en Algérie, Groupement pour les droits des minorités, Paris, 1992 ; Salem Chaker, Berbères d’aujourd’hui, L’Harmattan, Paris, 1989

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